La mort des philosophes
Lundi 10 octobre 2022
Nombreux et éloquents articles cette semaine en hommage à Bruno Latour, penseur contemporain de l’écologie politique. Et des articles remontent dans le fil, comme celui-ci : « L’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes », entretien publié dans Le Monde le 10 décembre 2021, qui résonne dans l’actualité.
« Il est incroyable qu’on répète ce mantra sur « fin du monde fin du mois », alors que la définition de ce qu’est une inégalité « sociale » n’a jamais cessé de changer. Eh bien oui, le monde [l’état du monde] s’ajoute aux fins de mois, comme le genre, la race se sont ajoutés aux divisions sociales. Un jour il faudra penser à quitter le XXe siècle. Si la sociologie ne change pas, ce n’est pas ma faute. En prenant une définition appauvrie du « social », on arrive évidemment à considérer l’écologie comme « extérieure ». »
Bureau politique à Bruxelles
Nouvelles présentations synthétiques de l’état des conclaves budgétaires, entité par entité, et des questions que ceux-ci soulèvent. Je ne vais pas rentrer dans le détail des mesures, c’était dans la presse. Je ne vais pas rentrer dans le détail des interprétations, ce n’était pas dans la presse.
+ Discussion sur les questions stratégiques.
La difficulté c’est que l’agenda médiatique n’est pas porté sur le vert. Le fédéral prend beaucoup de place. C’est normal, vu la nature des enjeux, mais c’est aussi inquiétant car l’écologie doit être territorialisée. C’est Latour qui le dit. Or, dans les médias, on parle peu d’aménagement du territoire. Mais de mobilité bien. Pas comme miroir des inégalités mais en tension avec la liberté des sujets. Discrétion sur la financiarisation de l’immobilier. Qui n’a aucun impact sur les inégalités, « naturellement ». (C’est de l’ironie). Pourtant l’alerte est là : https://www.ieb.be/-Dans-la-gueule-de-la-promotion… Les valeurs montent, ça réjouit la presse économique, ça arrange les propriétaires (qui sont aussi minoritaires que les automobilistes dans l’intra bruxellois). Oui, je suis un peu vénère. Par exemple, quand perspective.brussels prend bien soin de mobiliser le secteur privé pour nous expliquer que la reconversion des bureaux – disponibles sur le marché – ne répondra pas complètement à la crise du logement accessible (qui a dit cela?) mais ne s’intéresse pas à l’encadrement des loyers ni des prix du neuf. Enfin, Pascal Smet a admis le problème, c’est déjà pas mal. Reste à voir comment la Région va l’appréhender.
Commission Développement Territorial
Discussion et votes sur le projet de Résolution de la Commission (majorité-opposition) menée avec ténacité par Ahmed Mousshin et Céline Fremault, sur l’amélioration de l’accessibilité des bâtiments qui accueillent du public pour les PMR.
Mardi 11 octobre 2022
La Commission Mobilité avait rendez-vous dans les beaux locaux de la Fondation universitaire pour une présentation des travaux dans le tunnel Trône, par Bruxelles Mobilité et l’entreprise en charge des travaux. Puis visite du chantier.
Suite à la crise des tunnels, en 2015-2016, la Région a fait établir un PPI (Plan pluriannuel d’investissement) qui nous a été présenté en Commission. Ce plan prévoit des rénovations lourdes complètes (le tunnel Annie Cordy et le tunnel de la Porte de Hal ont été complètement rénovés dans ce cadre) mais aussi des opérations de « gros entretien et réparations », les GRD. On procède par ordre d’urgence. En 2018, par exemple, a eu lieu le GRD du tunnel Rogier. En 2021, un marché de travaux a été attribué pour le GRD de 14 tunnels sur 3 ans dont le tunnel Trône (304 m de long). Les problèmes susceptibles d’entraîner des chutes de béton proviennent en particulier de l’infiltration d’eau dans le plafond des tunnels : il arrive qu’il pleuve, il arrive que l’eau s’infiltre, fuite, corrode les fers à béton, qui, en se dilatant, font sauter les bétons qu’ils sont supposés consolider. C’est ballot. Une inspection complète des toitures a donc été réalisée et des plans de suspicion de décollement des bétons établis. Dans le cadre du marché, l’entreprise procède à des interventions qui tiennent en 16 étapes dont voici un résumé : on procède d’abord au démontage de tous les équipements (signalisation, ventilation,…) des bardages et de l’amiante quand c’est nécessaire (parfois enrober des gaines en amiante est moins problématique que de les découper), on procède à des sondages au marteau afin de sonder les bétons désagrégés, on fait ensuite tomber ce béton par hydro action (haute pression), l’eau est filtrée dans une station d’épuration mobile afin d’éviter le rejet de plomb dans les égouts, puis on réagrège les bétons, on installe une protection cathodique (23 km de tiges en titane) afin d’éviter la corrosion dans le futur, on marque les emplacements de ces barres en titane afin d’éviter que des interventions ultérieures ne viennent forer dedans. J’ai demandé combien de temps cette nouvelle technique anti-corrosion pouvait tenir. Réponse : « 30 ans ».
En surface, dans le carrefour Trône, le tablier du tunnel sera prolongé de quelques mètres (vers la Porte de Namur) afin d’élargir le passage pour les piétons en surface, ce qui suppose la construction de voiles de béton et de fondations.
(Que les ingénieurs me pardonnent cette leste vulgarisation. Mon père était ingénieur, je comprends leur langage mais je ne le parle pas couramment. Mais il y a pire : un collègue du MR qui parle de « chutes de pierres ». Bien sûr : nos tunnels datent des gallo-romains.)
Ces travaux sont planifiés au sein de la Commission de coordination des chantiers afin de tenir compte des autres gros chantiers réalisés dans le Pentagone et d’une multitude d’intervenants.
Lors de notre visite, on venait de terminer le pertuis orienté midi-nord puis de commencer les travaux dans le pertuis nord-midi. Les ventilateurs de chantier n’étaient pas encore installés.
A la demande de la Ville et des commerçants et en vue de fêtes de fin d’année, les travaux n’auront bientôt plus lieu que de nuit, ce qui va allonger le délai de réalisation. Et il faut monter et démonter chaque jour le chantier comme on l’a fait à Annie Cordy. Sur 8 heures de travail, 4 à 5 heures sont effectives. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour maintenir le trafic ?
Mais les usagers râlent. Parce qu’ils « ne voient personne sur le chantier ». « C’est normal, à cause des bardages de séparation entre les deux pertuis », nous répond l’entreprise. Bruxelles Mobilité avait fait la démarche d’inviter la presse et une instagrameuse qui se plaignait sur les réseaux sociaux et voulait comprendre la situation. Chouette rencontre. Elle m’a expliqué qu’elle revivait depuis qu’on lui a prêté un vélo électrique qui lui permet de faire plus rapidement de nombreux petits trajets quotidiens. (hé oui) .
Mercredi 12 octobre 2022
Et il y a des familles qui dorment dehors, je les vois alignées sur le pont le matin.
Remplacement de la réunion de la team verte par des bilatérales téléphoniques de coordination quand nécessaire. Discussion sur le projet de Note Environnement Santé qui sera débattue en AG thématique en décembre, par exemple.
Funérailles du philosophe Pierre Ansay, décédé subitement le 3 octobre.
J’ai rencontré Pierre au Bureau de l’ARAU vers 1994. Il avait publié avec René Schoonbrodt l’anthologie de textes philosophiques sur la ville « Penser la ville » en 1989. C’est le plus grand succès des éditions des Archives d’Architecture Moderne. J’ai lu plusieurs de ses livres territorialisés dont Le désir automobile et L’homme résistant. Quand je vendais des livres à la librairie Quartiers Latins, boulevard de Waterloo, il avait son bureau à la Cocof juste au-dessus (avec quatre fenêtres car « ton importance se mesure au nombre de fenêtres et à la distance avec la machine à café »). Il était le philosophe de service lors des Ecoles urbaines, le colloque annuel de l’ARAU. Pierre avait une personnalité flamboyante et, avec lui, à cette époque en tout cas, les divergences prenaient parfois des dimensions hyperboliques. Moins il se sentait compris, plus il en rajoutait. Je rentrais souvent en sa compagnie car il habitait chaussée de Haecht quand j’habitais le bas de Saint-Josse. Tous deux non motorisés, et moins exclusifs du vélo que ces dernières années, on se faisait volontiers tracter pour le plaisir de refaire la réunion dans le chaleureux habitacle de la voiture de Sadok. Ceci dit, Pierre était intarissable sur la sociologie des trams bruxellois dans lesquels il se livrait à des expériences sociales que les féministes réprouveraient. Il arrivait systématiquement en avance, comme l’ont rappelé ses enfants dans leur très touchant hommage. Il avait des enthousiasmes communicatifs et toute la salle pouvait en effet en profiter. Comme de son indignation, aux Beaux-Arts, dans l’expo du concours d’architecture pour la reconversion du Palais de Justice, dans le cadre duquel la Régie des Bâtiments (de l’Etat) n’avait pas mis comme préalable le maintien de la Justice dans les lieux. Depuis son retour du Québec, je le croisais le plus souvent dans le tram, des expos ou des colloques. La dernière fois au Parlement fédéral à un séminaire sur le climat où il m’a dit de son ton précipité tout le bien qu’il pensait d’Ecolo, de la politique en général (c’est de l’ironie) et de mon ralliement (ça c’est vrai). Il savait soutenir sans réserve autrui. Sa générosité aussi était hyperbolique. Et, si il critiquait l’action politique, il aimait l’action. Je suis viscéralement allergique au pédantisme dont les philosophes sont souvent friands mais Pierre n’était pas comme ça (Latour non plus). Il excellait dans les illustrations issues de l’actualité et de la vie quotidienne.
Extrait d’un article récent publié dans Politique :
« Les conditions du débat démocratique, à savoir que le meilleur argument l’emporte dans la discussion délestée de violence symbolique et de pratiques de domination sont rarement satisfaites. Dans l’arène du gouvernement britannique de Tony Blair, la réduction des allocations de chômage a pris quelques heures aux Communes et l’interdiction de la chasse à courre plus de deux cent cinquante. Ajoutons que son gouvernement a systématiquement menti sur l’engagement de la Grande-Bretagne dans la guerre en Irak. Le débat démocratique fonctionne à merveille sur des broutilles marginales et laisse la place à des rapports de force, au mieux négociés, quand les enjeux qui comptent vraiment montent à la surface. Le frayage diplomatique, les caucus, les manifestations dans la rue, la menace de représailles latérales font partie de l’attirail qui empêche de basculer dans les rapports de guerre. C’est toujours déjà ça de pris, mais l’horizon vraisemblable ne manque pas de se profiler, pessimisme freudien et marxien contre utopie des culs bénits : habermassons dans les salons, fusillons-les dans les corons ! »
Lasse, j’ai brossé la dernière réunion de la journée pour voir mes enfants et il n’y avait personne à la maison quand je suis rentrée.
Jeudi 13 octobre 2022
Réunion de groupe
C’était la journée des euphémismes. Où l’on parle entre autres choses des budgets « très désagréables » des communes et de la région. Moi, j’ai la solution (abandonner le deuxième tronçon du métro qui n’a pas encore de permis) mais j’attends sagement d’être comprise.
La musique console de tout, sauf de la mort des philosophes, mais belle tentative au concert de midi du MIM avec une version revisitée des Quatre saisons de Vivaldi par l’Ensemble Ataneres et Nicolas Dupont. Ce Vivaldi est étourdissant.
Le soir, conseil d’administration d’Etopia à Namur
Maître Derenne nous a gratifié de son plaidoyer en faveur de la démocratie directe « à la suisse ». « A la Suisse », la Belgique n’est probablement pas prête, mais, sur le principe, il a philosophiquement raison. J’espère qu’Ecolo pourra mener la Région (encore) plus loin sur la voie de la démocratie, au-delà de l’irénisme, comme dirait un philosophe qui se reconnaîtra. Le besoin est grand.
Nonobstant j’avais lu les documents soumis au CA que nous avons donc commenté sous la houlette de la co-présidence Drion-Dupriez.
Vendredi 14 octobre 2022
Petit déjeuner, virtuel, au saut du lit, avec Alain Maron et son équipe. Nous nous efforçons de nous articuler en amont. Articuler est le mot juste.
Puis vélo jusqu’à la plénière de l’assemblée de la COCOF.
Plénière est un bien grand mot, surtout les jours où il n’y a pas de vote, car chacun.e vaque à ses affaires, les député.e.s croulant comme tout à chacun.e sous les réunions.
Analyse des candidatures pour le poste d’assistant.e parlementaire.
Le soir, je suis allée au débat sur « Quartier apaisés, commerces menacés ? » organisé par Ander Atelier (BRAL, Filter café, Curieusenair, …) avec Mathieu Chassignet que je connaissais via Twitter. Ingénieur en Mobilité durable il travaille maintenant pour le Ministère de la Transition écologique. Il a présenté ses recherches sur la mobilité des clients des commerces. Voir ici :
Du coup, je ne suis pas retournée à Namur pour le Conseil de fédération mais on nous a promis un retour.
Samedi 15 octobre 2022
Dans le cadre d’une fête privée, j’ai testé pour vous une visite nocturne du zoning de la rue Paepsem. A pieds et de nuit, c’est d’un charme cinématographique. Sachez le si vous y allez le dernier bus 49 passe round midnight et l’accès est gérable à vélo malgré le déficit d’arceaux.
Et ce dimanche, laconiques méditations entre amis sur les sujets d’actualité comme toujours aussi édifiants qu’éphémères : un jet de soupe abolira-t-il l’art ou servira-t-il la question climatique ? Et les mèmes à l’effigie de Jean-Marc Nollet, coincé dans une battle criarde entre l’écosocialisme productiviste et l’écolibéralisme technologique, sont-ils, au fond, positifs ou négatifs pour Ecolo ? Je manque d’objectivité car j’aime beaucoup Jean-Marc malgré tout mais je pense que son désarroi à ce moment là est aussi celui des gens. Quant aux tournesols, ensoupés mais vitrifiés, ils vont bien, merci. Les activistes, en s’attaquant à une valeur consensuelle, dénoncent l’apathie générale.
C’est quand meurent les philosophes que nous avons besoin de philosophie.
Et un petit dernier lien pour la route :